On se retrouvera by Madelaine Goldstein

On se retrouvera by Madelaine Goldstein

Auteur:Madelaine Goldstein [Goldstein, Madelaine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Témoignage
ISBN: 978-2-35287-713-4
Publié: 2005-12-31T16:00:00+00:00


10

Accoucher à Auschwitz

J’ai toujours voulu croire aux fausses bonnes nouvelles, jamais aux vraies mauvaises. Telle fut ma règle de vie à Auschwitz. Certes, je n’étais pas la seule à avoir d’excellentes raisons de survivre. Mais peut-être ai-je compté parmi les plus enragées. Toujours est-il que je franchis les premières épreuves avec succès et qu’après mon séjour à la Quarantaine, je fus transférée au « grand camp ». Si les prisonniers, côté hommes, n’étaient que des Stücke, ici toutes les femmes étaient des « Sarah ».

— Sarah ! Viens ici !

Combien de fois ai-je entendu hurler cet ordre, tandis que je m’efforçais de résister au supplice de l’appel, du froid, des coups, de la gale, du typhus et des toilettes en quinconce où les besoins naturels se faisaient dos à dos et fesses contre fesses ? D’autres fois, nous les faisions alignées comme des oiseaux sur une poutre jetée par-dessus la fosse ; et il nous arrivait de voir des prisonnières tomber et se noyer dans ce cloaque qui ne représentait que trop bien le lieu immonde où nous avions échoué.

Mon matricule était le 80597. Ma journée se passait à endurer la faim, à répondre à l’appel, à subir les désinfections, à patauger dans la boue, à transporter un liquide infect appelé « café » dans de pesantes barriques munies d’anses où s’enfilaient des chevrons de dix centimètres de section.

Les responsables du camp n’avaient pas d’habits rayés pour toutes, si bien que nombre d’entre nous vivaient sans autre vêtement qu’une méchante robe en rayonne, sans sous-vêtements ni serviettes. Les femmes qui avaient encore leurs règles perdaient leur sang, ce sang se mélangeait à la diarrhée, la diarrhée épuisait leurs dernières forces, et elles finissaient par tomber d’épuisement avant de mourir à même le sol, comme des bêtes.

Chaque matin, il fallait sortir du baraquement les prisonnières mortes durant la nuit et les entasser dans des charrettes qui partaient pour le crématoire. Puis on se mettait en colonnes et nous partions pour le travail. Nos colonnes rencontraient parfois celles des hommes. Bien qu’il fût interdit de communiquer d’un groupe à l’autre, je scrutais les visages dans l’idée d’apercevoir, peut-être, celui de Jacques ; et comme cela n’arrivait jamais, chaque jour qui passait me renforçait dans ma certitude de l’avoir perdu.

Je me rappelle avoir vu naître une idylle entre un homme et une femme, des Grecs, qui se croisaient tous les jours, chacun prisonnier de sa colonne, et qui ne pouvaient nouer d’autre lien qu’un regard amoureux rapidement échangé, regard qui chaque fois risquait d’être le dernier. C’était étrange. J’avais perdu mon homme, et cette inconnue avait peut-être trouvé le sien.

Je me rappelle aussi avoir aperçu une fois, dans une colonne d’hommes, mon cousin Benjamin Elefant. Lui aussi m’avait vue ; et cette rencontre furtive, silencieuse, devait porter plus tard un fruit inattendu.

Avec les kommandos du grand camp, j’ai travaillé sur les routes et dans les carrières avec des pelles trop lourdes, rouillées, ébréchées. Les prisonnières se chamaillaient pour mettre la main sur les



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